Bail commercial : si le bailleur n'établit pas la réalité des charges, il doit restituer les provisions au preneur
Il incombe au bailleur qui réclame au preneur de lui rembourser, conformément au contrat de bail commercial le prévoyant, un ensemble de dépenses et de taxes d'établir sa créance en démontrant l'existence et le montant de ces charges. À défaut d'obtenir ces justificatifs, le preneur peut solliciter la restitution des provisions déjà versées.

Depuis la résiliation de leur bail commercial, le bailleur et le preneur se querellaient au sujet des charges locatives. Le bailleur entendait faire condamner le preneur au paiement de divers arriérés locatifs ; quand ce dernier soutenait, pour en obtenir la restitution, que la créance relative à ces charges locatives n'était pas établie.
La cour d'appel (Paris, 5 déc. 2018) avait accueilli la demande en remboursement du preneur mais le bailleur pensa qu'il y avait matière à contester cette décision. Il fonda son pourvoi sur deux moyens :
• en premier, il invoquait une violation de l'article 1353 du code civil, reprochant à la cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve dès lors qu'il appartient à celui qui réclame la restitution d'un paiement d'en prouver le caractère indu ;
• en second, il arguait une méconnaissance de l'office du juge et une violation corrélative de l'article 4 du code civil, sitôt qu'en refusant d'évaluer une créance dont il constatait l'existence en son principe, le juge avait commis à ses yeux un déni de justice.
Aucun de ces arguments n'emporta la conviction de la Cour de cassation qui rejeta le pourvoi et confirma la cour d'appel qui, « sans inverser la charge de la preuve ni méconnaître son office, [avait] exactement retenu que la bailleresse devait pour conserver, en les affectant à sa créance de remboursement, les sommes versées au titre des provisions, justifier le montant des dépenses et que, faute d'y satisfaire, elle devait restituer au preneur les sommes versées au titre des provisions ». Surtout, et c'est sans doute ce qui justifie sa publication au Bulletin, l'arrêt est l'occasion d'énoncer, non sans solennité, « qu'il incombe au bailleur qui réclame au preneur de lui rembourser, conformément au contrat de bail commercial le prévoyant, un ensemble de dépenses et de taxes d'établir sa créance en démontrant l'existence et le montant de ces charges ».
On sait depuis longtemps l'importance de la question des charges locatives dans la conclusion d'un bail commercial. La loi Pinel du 18 juin 2014 a encadré la répartition de ces dernières en fixant une liste limitative des charges et taxes assumées par le bailleur qui ne peuvent être reportées sur le preneur (C. com., art. R. 145-35) mais l'arrêt illustre qu'en dépit de cette clarification quant à la répartition des charges locatives, des difficultés persistent dans l'établissement et le paiement de celles-ci.
Il est fréquent, comme c'était le cas en l'espèce, que le bail prévoie que le paiement des charges locatives imputées au preneur fait l'objet d'une provision acquittée en même temps que le loyer. En poursuivant la lecture jusqu'au moyen en annexe, l'on apprenait que « l'article IV-Charges et conditions du bail stipule que le preneur devra rembourser au propriétaire en même temps que chaque terme de loyer, sa part des charges locatives, notamment sa quote-part des dépenses d'eau, de chauffage, d'électricité, les taxes d'enlèvement des ordures ménagères, de l'entretien des communs intérieurs et extérieurs, hall, couloir, ascenseur, allées, pelouses, etc., de manière à ce que le propriétaire n'ait à supporter personnellement aucune charge. Le bail met également la taxe foncière à la charge du locataire ». On sait combien ces clauses sont usuelles (Droit et pratique des baux commerciaux, 5e éd., Dalloz action, 2018-2019, n° 532.53). Or il ne suffit pas que le bailleur se contente d'appeler ces provisions au preneur ; il lui appartient – s'il souhaite les conserver – de justifier de l'existence et du montant de sa créance. En l'espèce, c'était bien ce que n'avait pas su faire le bailleur ; autorisant dès lors le preneur à contester cette créance et à solliciter le remboursement des provisions versées.
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de retenir que le bailleur qui ne produit pas les justificatifs des charges d'eau ou des taxes d'ordures ménagères peut être condamné à rembourser les provisions sur charges au preneur (Civ. 3e, 9 juin 2015, n° 14-13.555, Gaz. Pal. 2015. 2376, obs. J.-D. Barbier). Il en avait été de même pour le bailleur qui ne produisait aucun justificatif sur la base de décomptes édités par le syndic de copropriété. Ces solutions furent initialement fondées sur l'absence de cause mais, malgré l'abandon de cette notion par l'ordonnance du 10 février 2016, on observe qu'elles se maintiennent. Que les parties conviennent, lors de la conclusion du bail, de s'entendre sur la répartition des charges locatives est une chose, mais il faut, lors de l'exécution de cet acte, que la réalité et le montant de ces charges soient établis. On ne doit pas confondre le paiement d'une charge avec le versement d'une provision ; si la première n'existe pas, la seconde doit être restituée.
En conclusion, il faut retenir que, si le bailleur ne justifie pas de la réalité et du montant de sa créance, le preneur peut demander le remboursement des provisions sur charges locatives. D'ailleurs, chacun sait que l'article R. 145-36 du code de commerce – qui n'était pas applicable en l'espèce – commande désormais qu'à l'occasion de l'établissement de l'état récapitulatif annuel prévu par l'article L. 145-40-2 du même code, « le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci ».
Source : Civ. 3e, 17 sept. 2020, FS-P+B+I, n° 19-14.168
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