Entrepreneur individuel en difficulté : publication du décret (enfin !)

Le décret du 14 juin 2022 relatif au traitement des difficultés de l'entrepreneur individuel est paru au Journal officiel le 16 juin 2022 pour une entrée en vigueur dès le lendemain de sa publication. Il vient compléter la série de décrets et arrêté pris en application de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.

Le décret n° 2022-890 du 14 juin 2022 relatif au traitement des difficultés des entreprises vient de paraître. Il complète le nouveau dispositif mis en place par l'article 5 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, en adaptant les dispositions réglementaires sur l'EIRL en difficulté et en précisant le nouveau régime applicable au traitement des difficultés de l'activité professionnelle indépendante.

L'adaptation des dispositions réglementaires relatives à l'EIRL

Sans surprise, le décret vient modifier plusieurs dispositions réglementaires du livre VI du code de commerce dans le cadre de la mise en extinction de l'EIRL par la loi du 14 février 2022 (v. X. Delpech, Consécration du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel, Dalloz actualité, 1er mars 2002 ; Nouveau statut de l'entrepreneur individuel : précisions réglementaires, Dalloz actualité, 11 mai 2022). La mention « individuel à responsabilité limitée » est ainsi supprimée de plusieurs textes réglementaires pour se fondre dans la dénomination « d'entrepreneur ». Il en est ainsi notamment en matière de prévention (alerte, mandat ad hoc et conciliation). Cette suppression pourrait sembler précipitée puisque les EIRL existants n'ont pas été éteints par le législateur, seule leur création est interdite depuis le 15 février 2022, mais il faut y voir ici un objectif de clarification pragmatique. La mention est également supprimée pour la détermination de la consistance des biens de l'EIRL (C. com. art. R. 624-13-1 mod.), les pièces ou mentions nécessaires à l'ouverture d'une procédure collective (C. com., art. R. 621-8, al. 4, mod. pour la sauvegarde), l'action en extension (art. R. 621-8-1, al. 1er et 3, pour l'action en extension), le redressement judiciaire (C. com., art. R. 631-1 mod.), la liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-7 mod., R. 643-5 mod., R. 643-21 mod., R. 642-40, al. 1er, mod., R. 643-5, al. 1er, mod. et R. 643-21 mod.) et les sanctions (C. com., art. R. 651-5 et R. 651-6 mod.).

Les nouvelles dispositions réglementaires liées au nouveau statut de l'entrepreneur individuel

L'article 5 de la loi du 14 février 2022 ayant créé un nouveau titre VIII bis au sein du livre VI du code commerce pour adapter le traitement judiciaire des difficultés de l'entrepreneur individuel relevant de ce nouveau statut (C. com., art. L. 681-1 à L. 681-4 nouv.), il en est de même en matière réglementaire (C. com., art. R. 681-1 à R. 681-7 nouv.). Le nouveau titre réglementaire précise plusieurs aspects procéduraux du nouveau régime applicable à l'entrepreneur individuel en difficulté, sans toutefois répondre à toutes les interrogations.

Examen des conditions d'ouverture de la procédure collective par le tribunal du livre VI du code de commerce (compétence de principe)

Aux termes du nouvel article L. 681-1 du code de commerce, le tribunal du livre VI du code de commerce est désormais compétent pour toute demande d'ouverture d'une procédure collective ou d'une procédure de surendettement prévue au livre VII du code de la consommation. Il devient en quelque sorte le « pilote » du traitement judiciaire des difficultés de l'entrepreneur individuel. Le décret énonce que, lors de cette demande d'ouverture, la situation financière de l'entrepreneur individuel doit être présentée en distinguant bien le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de celui-ci (C. com., art. R. 681-1 nouv.) et que le tribunal doit apprécier « dans un même jugement » si les conditions d'ouverture de ces procédures sont « alternativement ou cumulativement » réunies (C. com., art. R. 681-3 mod.). Le décret précise un point important selon lequel « le débiteur peut solliciter, dans sa demande d'ouverture, le bénéfice des mesures de traitement de la situation de surendettement » (C. com., art. R. 681-1, II nouv.).

Trois situations sont alors possibles :

  1. seules les conditions d'ouverture d'une procédure collective sont réunies, en raison de difficultés sur le seul patrimoine professionnel ;
  2. seules les conditions d'ouverture d'une procédure de surendettement sont réunies, en raison de difficultés sur le seul patrimoine personnel ;
  3. les conditions d'ouverture d'une procédure collective et d'une procédure de surendettement sont réunies en raison de difficultés sur les patrimoines personnel et professionnel.

Le tribunal devra donc motiver avec précision son jugement quant à l'existence des conditions d'ouverture d'une procédure collective et/ou d'une procédure de surendettement.

Articulation des procédures

Différentes situations

À partir de cette appréciation, le nouveau titre VIII bis du livre VI du code de commerce a prévu une articulation des procédures du droit des entreprises en difficulté et du droit du surendettement, dont le décret est venu préciser les modalités. Au regard des nouveaux articles L. 681-2 et L. 681-3 du code de commerce, quatre situations peuvent se présenter au tribunal :

1. Seules les conditions d'une procédure collective sont réunies au jugement d'ouverture. Le tribunal du livre VI du code de commerce est alors seul compétent pour ouvrir une procédure collective à l'encontre du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel.

2. Les conditions du surendettement et d'une procédure collective sont réunies en raison de la confusion des patrimoines personnel et professionnel. Le tribunal du livre VI du code de commerce est seul compétent et traite dans un même jugement l'ensemble des dettes dont l'entrepreneur individuel est redevable. Les dispositions du livre VI du code de commerce qui intéressent les biens, droits ou obligations de l'entrepreneur individuel sont comprises comme visant à la fois le patrimoine professionnel et personnel (C. com., art. L. 681-2 nouv.). D'un point de vue pratique, certaines questions se posent. On pense notamment au sort de la résidence principale dont la protection tombe en l'absence de déclaration d'insaisissabilité, puisqu'elle ne bénéficie pas d'une protection de plein droit dans le régime du livre VII du code de la consommation applicable au patrimoine personnel (sauf utilisation pour partie pour un usage professionnel (C. com., art. L. 526-1). En outre, puisqu'une seule procédure est ouverte au profit de deux patrimoines (l'un professionnel, l'autre personnel), le traitement des dettes du débiteur (classiquement attachées à un seul patrimoine) sur un seul état du passif peut faire débat. De la même manière, la prise en compte de l'ensemble des dettes admises au passif par un unique plan de sauvegarde ou de redressement interroge sur un possible traitement différencié du passif professionnel et du passif personnel. Bien que deux patrimoines distincts soient pris en compte, l'unicité de la procédure nous amène à considérer une unicité de traitement du passif.

3. Les conditions du surendettement et d'une procédure collective sont réunies mais la séparation des patrimoines a été « strictement respectée » (C. com., art. L. 681-2, IV, nouv.). Par dérogation à la situation précédente, lorsque la distinction des patrimoines a été « strictement respectée » et que le droit de gage des créanciers né à l'occasion de l'activité professionnelle ne porte pas sur le patrimoine personnel, le « tribunal qui ouvre la procédure saisit, avec l'accord du débiteur, la commission de surendettement ». La motivation du jugement devra être particulièrement précise compte tenu des conséquences pour les créanciers de l'ouverture de ces deux procédures « étanches » de traitement des difficultés. Par ailleurs, il conviendra dans cette situation d'avoir deux passifs distincts sous-tendant deux plans avec des durées qui risquent d'être différentes.

Le tribunal et la commission de surendettement doivent ensuite se tenir informés de l'évolution de chacune des procédures et se « communiquer réciproquement toutes informations qu'ils jugent utiles à l'accomplissement de leur mission » (C. com., art. R. 681-7 nouv.).

4. Si seules les conditions du surendettement sont réunies, le tribunal du livre VI renvoie l'affaire, avec l'accord du débiteur, devant la commission de surendettement.

Règles procédurales

Dans les deux dernières situations visées, trois règles procédurales sont spécifiquement prévues :

• l'accord du débiteur, requis pour saisir la commission de surendettement, peut être recueilli lors de l'audience au cours de laquelle le tribunal examine la demande d'ouverture (C. com., art. R. 681-2 nouv.). Afin d'éviter toute incertitude ou contentieux, l'accord du débiteur devrait être mentionné clairement dans le jugement d'ouverture ou de renvoi ;

• « le jugement est notifié par le greffe au débiteur et aux créanciers dont l'existence a été signalée par le débiteur », avec avis s'il y a lieu au mandataire judiciaire, au ministère public et à l'administrateur judiciaire s'il en a été désigné un (C. com., art. R. 681-4, al. 2 nouv.) ;

• le jugement est susceptible de recours :

  • de la part des parties (débiteur, ministère public) dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement (C. com., art. R. 681-5 nouv.).
  • de la part d'un créancier qui n'est pas partie au jugement et qui conteste la séparation des patrimoines de l'entrepreneur individuel (dix jours à compter de la notification qui lui a été faite ou de la publication du jugement au BODACC) (C. com., art. R. 681-6 nouv.)

Dans ce dernier cas, l'entrepreneur individuel, les créanciers connus, le mandataire judiciaire, le ministère public et l'administrateur judiciaire, lorsqu'il en a été désigné un, sont « convoqués par tout moyen et sans délai par le greffe. Le tribunal recueille alors leurs observations et statue sur l'ensemble des contestations soulevées » (C. com., art. R. 681-6, al. 2). L'absence de formalisme concernant la convocation et de délai apparaît cohérente au regard de la nécessaire célérité pour purger ce contentieux et permettre le plein effet de la procédure.

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Très attendu, le décret reste quelque peu décevant face aux nombreuses interrogations que soulève le nouveau régime applicable au traitement des difficultés de l'activité professionnelle indépendante.

 

Par Karine Lemercier

Décr. n° 2022-890, 14 juin 2022, JO 16 juin.

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