« Je suis candidat à l'élection présidentielle » : Éric Zemmour condamné pour contrefaçon de droits d'auteur
Par un jugement du 4 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris condamne Éric Zemmour pour contrefaçon, tout comme l'association Reconquête, éditrice du site officiel de l'homme politique, ainsi que son président François Miramont, en raison de l'utilisation sans autorisation des images de films dans son clip d'annonce de candidature à la présidentielle

À la veille de l'élection présidentielle, le droit d'auteur s'invite dans le débat politique. En cause, la diffusion de la désormais célèbre vidéo Je suis candidat à l'élection présidentielle. Éric Zemmour y dévoilait les raisons l'ayant poussé à candidater, son discours oral s'accompagnant de reproductions d'images ou d'extraits tirés de sources diverses. Parmi celles-ci, on retrouvait les films Le Quai des brumes, Dans la maison, Louis Pasteur, portrait d'un visionnaire, Jeanne d'Arc ou encore Un singe en hiver. Invoquant des atteintes à leurs droits patrimoniaux ainsi qu'au droit moral, les titulaires des droits d'auteur sur ces œuvres intentaient dès lors une action en justice.
Par son jugement du 4 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris condamne Éric Zemmour pour contrefaçon, tout comme l'association Reconquête, éditrice du site officiel de l'homme politique, ainsi que son président François Miramont. Le juge refuse aux défendeurs le bénéfice de l'exception pour courte citation, ce qui l'amène à appliquer le test de proportionnalité et vérifier si la condamnation pour contrefaçon ne constituait pas une atteinte légitime à la liberté d'expression des défendeurs.
L'inapplicabilité de l'exception pour courte citation
Selon les défendeurs, la vidéo litigieuse constitue une œuvre nouvelle, à caractère informatif, incorporant de courts extraits des œuvres préexistantes et de ce fait bénéficie de l'exception pour courte citation. Cette argumentation est balayée par le juge qui retient d'abord une atteinte au droit de paternité.
Comme le rappelle le tribunal, l'exception en question ne pourrait s'appliquer que « sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source ». Or, en l'espèce, les défendeurs se sont contentés de mettre à disposition des spectateurs un lien sous la désignation « voir plus », dont le contenu précisait uniquement le titre des films et le nom du titulaire de la chaîne YouTube ayant servi de source…
Les exceptions ne limitent que les droits patrimoniaux de l'auteur, laissant intactes les prérogatives du droit moral. La citation n'échappe pas à cette règle, bien que la doctrine souligne parfois son caractère nécessairement attentatoire au droit à l'intégrité de l'œuvre (P. Vivant, Courte citation et parodie : des exceptions au droit moral ?, RLDI, n° 13, févr. 2006, p. 59-61). Il est aussi constant que face au silence des textes quant aux modalités concrètes de l'indication de la source, le processus relève alors largement des usages, qui dictent par exemple l'utilisation de guillemets pour les citations littéraires, et admettent en ce qui concerne l'œuvre audiovisuelle la mention de la source de la citation dans le générique, ou dans d'autres « paratextes » accompagnant la diffusion de l'œuvre seconde (X. Pres, Les sources complémentaires du droit d'auteur français. Le juge, l'administration, les usages et le droit d'auteur, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2004, nos 67 s.). Ainsi, l'emplacement choisi par les défendeurs pour insérer les références est viable. C'est le laconisme dont ils ont fait preuve qui justifie la solution. L'œuvre citante doit en effet respecter le droit de paternité, en associant dans toute la mesure du possible le nom de l'auteur à l'œuvre citée (M. Vivant, J.-M. Brugiere, Droit d'auteur et droits voisins, 4e éd., Dalloz, 2019, p. 585).
Notons toutefois qu'en matière de citation audiovisuelle, échappant ipso facto à la rigueur et à la clarté des usages dans le cadre littéraire, la jurisprudence peut parfois apparaître plus libérale, se limitant simplement à la nécessité de présenter les éléments cités comme provenant d'un autre auteur, sans réclamer la mention systématique du nom de celui-ci (M. Cornu et N. Mallet-Poujol, Le droit de citation audiovisuelle : Légitimer la culture par l'image, Légicom, 1998/1, n° 16, p. 119-145, spéc. p. 135). Il a par exemple été jugé que les exigences de l'exception de courte citation quant à la reconnaissance de la paternité de l'œuvre citée furent satisfaites dans un article de presse, qui ayant reproduit à titre d'illustration une capture d'écran tirée d'une œuvre audiovisuelle, ne cita pas les noms des réalisateurs de cette dernière, se contentant d'incruster dans l'image en question le nom du site ayant diffusé l'œuvre citée, cette technique faisant bien comprendre au public qu'il s'agissait d'un emprunt (Paris, 19 déc. 2014, n° 14/11935, Légipresse 2015. 77 et les obs. ).
Il n'en demeure pas moins que « l'absence de mention de l'auteur fait peser le doute sur la volonté de s'approprier le discours d'autrui » (M. Cornu et N. Mallet-Poujol, op. cit.), ce doute motivant la décision condamnant Éric Zemmour, et engendrant d'autres arguments en faveur du rejet de l'exception. Si la brièveté des emprunts n'est pas remise en cause, c'est leur non-conformité aux critères téléologiques de l'exception que constate le juge. Ces reproductions « ne peuvent […] être considérés comme justifiés par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de la vidéo litigieuse puisqu'ils ne sont présents qu'à titre de simples illustrations en guise de fond visuel du discours prononcé, lequel n'entretient aucun “dialogue” avec les extraits d'œuvres en cause ». C'est la question du contexte et de la finalité de l'incorporation des œuvres citées à une œuvre seconde qui ainsi est abordée.
L'exception de courte citation, en tant que dérogation visant avant tout la sauvegarde de la liberté d'expression, ne couvre que les emprunts qui contribuent effectivement à l'épanouissement de cette dernière. Ne sauraient alors être soustraits du monopole de l'auteur les citations purement « ornementales » (M. Vivant et J.-M. Bruguiere, op. cit., p. 663, note 1 ; v. not. les décisions relatives à la reproduction des chansons de Jean Ferrat dans un ouvrage bibliographique et, en dernier lieu, Versailles, 19 nov. 2019, n° 18/08181, Dalloz actualité, 7 janv. 2020, obs. J. Daleau ; Légipresse 2020. 16 et les obs. ; ibid. 47, étude P. Pérot
; RTD com. 2020. 89, obs. F. Pollaud-Dulian
), les « emprunts à la forme pour elle-même, pour son esthétique propre » (F. Pollaud-Dulian, obs. ss TGI Nanterre, 22 mai 2008, n° 06/11735, RTD com. 2009. 1345
). C'est précisément un caractère purement ornemental que le juge attribue aux citations, quand il estime que les extraits litigieux « ne visent […] nullement un but exclusif d'information immédiate en relation directe avec les œuvres dont ils sont issus. Pour que l'utilisation puisse, en effet, être qualifiée d'informative, […] encore faudrait-il que l'information dispensée ait trait aux œuvres auxquelles les extraits litigieux ont été empruntés, or celle-ci est exclusivement axée sur la candidature d'Éric Zemmour à la présidence de la République ».
On regrettera un certain manque de rigueur dans le choix des termes. En effet, « illustration » est une notion davantage employée dans la doctrine pour fixer les contours de l'exception de courte citation et des autres exceptions supposant l'emprunt à la forme (P.-Y. Gautier et N. Blanc, Droit de la propriété littéraire et artistique, LGDJ, 2021, p. 289 s.). N'est-il pas de « l'essence de l'analyse et de la citation d'illustrer le propos d'une œuvre seconde » (J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 1249, n° 80, par A. Lucas) ? En ce qui concerne le « but d'information immédiate », c'est un critère étranger à l'exception de courte citation, et relève plutôt de l'exception prévue à l'article L. 122-5, 9°, du code de la propriété intellectuelle (CPI) concernant les reproductions et les représentations pour rendre compte d'événements d'actualité.
Parallèlement, on entend l'accent mis par les défendeurs sur le caractère informatif de l'œuvre seconde. Il s'agit, semble-t-il, d'une référence implicite à la jurisprudence Microfor (Civ. 1re, 9 nov. 1983, n° 82-10.005 P ; Cass., ass. plén., 30 oct. 1987, n° 86-11.918), qui a assoupli ses exigences en matière de finalité des citations dans des œuvres d'information, jusqu'à quasiment les soustraire de la condition d'incorporation. Reste à démontrer que le discours d'Éric Zemmour est une création à caractère d'information qui pourrait exister même « sans commentaire ou développement personnel de son auteur, par la réunion elle-même et le classement de courtes citations empruntées à des œuvres préexistantes » (Civ. 1re, 9 nov. 1983, préc.).
Notons toutefois que dans une décision récente (TJ Paris, 21 janv. 2021, n° 20/08482) concernant la reproduction partielle d'une œuvre de street art, intitulée Marianne asiatique et utilisée dans une vidéo de campagne de Jean-Luc Mélenchon, le juge a opéré une lecture beaucoup plus libérale de l'exception de courte citation, en admettant sans hésitation son jeu dans le cas de figure d'œuvre d'arts graphiques difficilement démembrable dans sa reproduction (selon le vocabulaire de N. Binctin, Droit de la propriété intellectuelle, 6e éd., LGDJ, 2020, p. 155). Dans un contexte d'incorporation pourtant techniquement proche de celui du clip d'Éric Zemmour, il a été jugé que « la reproduction de cette œuvre urbaine appuie le message critique développé par les vidéos, qui est celui d'une demande du “peuple” en faveur d'une nouvelle République plus humaniste ».
En outre, dans la décision que nous commentons, le juge retient une atteinte contextuelle à l'intégrité des œuvres citées « dès lors que détournées de leur finalité première, qui est de distraire ou d'informer, les œuvres audiovisuelles ont été utilisées, sans autorisation, à des fins politiques ». Pourtant, dans le jugement concernant le candidat à l'extrême opposé de l'échiquier politique, la violation du droit moral a été écartée, faute pour le demandeur d'avoir pu établir en quoi le seul fait que son œuvre avait été associée à un discours politique porterait atteinte à l'intégrité de celle-ci…
L'affirmation de la réalité de la violation des droits d'auteur conduit ainsi le juge à l'appréhender sous l'angle du test de proportionnalité.
La proportionnalité de l'atteinte à la liberté d'expression
Le stratagème des défendeurs obéit à un schéma devenu classique depuis la fameuse décision Klasen (Civ. 1re, 15 mai 2015, n° 13-27.391, Dalloz actualité, 2 juin 2015, obs. J. Daleau ; D. 2015. 1094, obs. A. T. ; ibid. 1672
, note A. Bensamoun et P. Sirinelli
; Légipresse 2015. 331 et les obs.
; ibid. 474, comm. V. Varet
; RTD com. 2015. 509, obs. F. Pollaud-Dulian
; ibid. 515, obs. F. Pollaud-Dulian
), dans laquelle la Cour de cassation affirme que le juge statuant sur une action en contrefaçon doit systématiquement expliquer comment la recherche d'un « juste équilibre » entre les différents droits fondamentaux a commandé l'éventuelle condamnation. Le fait que telle ou telle utilisation ne rentre pas dans le périmètre des exceptions légales n'est alors pas encore synonyme de contrefaçon, et il se peut que la condamnation constitue une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression.
Ce type d'ingérence disproportionnée fut invoquée par les défendeurs, s'appuyant sans surprise sur la jurisprudence Ashby Donald (CEDH 10 janv. 2013, Ashby Donald et autres c. France, n° 36769/08, Dalloz actualité, 16 janv. 2013, obs. C. Manara ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 172, obs. C. Manara
; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny
; ibid. 2014. 2078, obs. P. Sirinelli
; Légipresse 2013. 221, Étude F. Marchadier
; RTD com. 2013. 274, obs. F. Pollaud-Dulian
), qui suggère que les droits exclusifs de l'auteur constituent non pas une règle mais plutôt une exception à la liberté d'expression (C. Geiger, « L'utilisation jurisprudentielle des droits fondamentaux en Europe en matière de propriété intellectuelle : quel apport ? Quelles perspectives ? », in C. Geiger [dir.], La contribution de la jurisprudence à la construction de la propriété intellectuelle en Europe, LexisNexis, 2013, p. 193-219, spéc. p. 201-202) et affirme que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme « ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière politique » (pt 39 de la décision Ashby Donald et autres c. France).
Sur ce point, le juge avance que les extraits litigieux « n'apparaissent pas nécessaires au discours politique d'Éric Zemmour dès lors que, d'une part, d'autres extraits ou images libres de droits auraient pu être tout aussi efficacement utilisés pour illustrer son propos et, d'autre part, que la suppression des extraits litigieux n'entraînerait aucune modification du propos d'Éric Zemmour dans la mesure où […] celui-ci s'appuie sur les extraits de films qui ne sont ni commentés ni étudiés, mais utilisés comme de simples illustrations ». Cela le conduit à admettre le caractère proportionné et nécessaire de l'atteinte à la liberté d'expression, outre le fait que « l'utilisation des extraits des films litigieux ne remplit pas les conditions de l'exception de courte citation ».
Une certaine redondance nous interpelle dans cette motivation. En effet, les raisons qui poussent le juge à reconnaître le caractère proportionné de l'atteinte à la liberté d'expression sont peu ou prou les mêmes que celles qui justifient la mise à l'écart de l'exception pour courte citation, à savoir le caractère purement ornemental des extraits. La logique du test de proportionnalité en tant que « métaexception » externe au droit d'auteur objectif (A. Bensamoun et P. Sirinelli, Droit d'auteur vs Liberté d'expression : suite et pas fin…, D. 2015. 1672, spéc. p. 1674 ) voudrait que, lorsqu'il l'applique, le juge se détache des critères de l'exception légale. La technique de balance des intérêts en présence commande une évaluation de la légitimité des usages, qui a priori ne rentrent pas dans le champ des exceptions… À moins que l'on parte du principe que l'arbitrage entre le droit d'auteur et les différents droits et libertés fondamentaux doit nécessairement s'opérer à travers les exceptions, qui sont alors appliquées avec plus ou moins de rigueur par le juge, préservant leur effet utile. Il se peut donc que le test de proportionnalité appliqué dans le procès d'Éric Zemmour ne soit pas celui de l'arrêt Klasen mais plutôt celui de l'arrêt Funke Medien (CJUE 29 juill. 2019, Funke Medien c/Bundesrepublik Deutschland, aff. C-469/17, D. 2019. 1606
; Dalloz IP/IT 2019. 464, obs. N. Maximin
; ibid. 2020. 317, obs. A. Latil
; Légipresse 2019. 451 et les obs.
; ibid. 541, obs. V. Varet
; ibid. 2020. 69, étude C. Alleaume
; RTD com. 2020. 53, obs. F. Pollaud-Dulian
; ibid. 83, obs. F. Pollaud-Dulian
; RTD eur. 2019. 927, obs. E. Treppoz
; ibid. 2020. 324, obs. F. Benoît-Rohmer
). Cependant, même dans ce cas de figure, dissocier l'affirmation du caractère proportionnel de l'ingérence du fait que l'utilisation en question ne remplit pas les conditions de l'exception paraît tout à fait superflu…
La saturation argumentative se poursuit lorsque le juge formule une observation qui fait référence aux qualités intrinsèques de l'œuvre citante. En avançant que « d'autres extraits ou images libres de droits » auraient pu être utilisés par Éric Zemmour, et que cela n'aurait pas changé la substance de son œuvre (sic !), le juge n'est-il pas en train de questionner la réalité même de l'empreinte de la personnalité de l'auteur, et par extension l'originalité de l'œuvre litigieuse ? N'est-il pas en train de mener une analyse axée sur la pertinence des choix personnels de l'auteur, et donc indirectement sur le mérite de l'œuvre ? Or le caractère protégeable de l'œuvre citante semble être un critère indifférent depuis l'arrêt Painer (CJUE 1er déc. 2011, Eva-Maria Painer c. Standard Verlags GmbH et autres, aff. C-145/10, Dalloz actualité, 5 déc. 2011, obs. J. Daleau ; D. 2012. 471, obs. J. Daleau , note N. Martial-Braz
; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke
; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli
; Légipresse 2012. 12 et les obs.
; ibid. 161, comm. J. Antippas
; RTD com. 2012. 109, obs. F. Pollaud-Dulian
; ibid. 118, obs. F. Pollaud-Dulian
; ibid. 120, obs. F. Pollaud-Dulian
), et la neutralité esthétique de la création découlant de l'article L. 112-1 du CPI « exclut tout jugement de valeur sur le contenu de l'œuvre » (J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, fasc. 10, n° 19, par A. Lucas), le juge du droit d'auteur ne pouvant pas être « érigé en critique »…
Eu égard à tout ce qui précède, il apparaît que la décision commentée est une nouvelle illustration des difficultés auxquelles conduit la généralisation du test de proportionnalité en matière de violation des droits d'auteur. Induisant une certaine « émancipation du juge, appelé à statuer en équité au nom d'une recherche de juste équilibre », la fondamentalisation du droit d'auteur et de ses exceptions ne rime pas avec sécurité juridique, alors même que la sécurité et la neutralité sont particulièrement nécessaires dans tout débat d'intérêt général.
L'intéressé a annoncé sa volonté d'interjeter appel.
Par Dariusz Piatek
TJ Paris, 4 mars 2022, n° 22/00034
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