Nouvelles mesures pour les indépendants : quel impact pour les avocats ?
Le 16 septembre 2021, le président de la République a annoncé un ensemble de mesures destinées à faciliter ou favoriser l'activité des indépendants. Certaines de ces mesures ont été intégrées dans le projet de loi de finances 2022, d'autres se trouvent dans la toute récente loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante. L'objectif de cet article est de détailler et de commenter celles de ces mesures qui auront un impact tangible pour les avocats.

De bonnes nouvelles et des questions
Les dispositions de la loi de finances 2022 en matière d'aménagement de l'exonération des plus-values de cessions d'entreprises constituent une très bonne nouvelle pour les avocats. Tous les principaux dispositifs sont concernés, à savoir ceux de l'article 238, quindecies, du code général des impôts, de l'article 151, septies, A, pour les plus-values professionnelles et celui de l'article 150-0, D, ter, pour les plus-values des particuliers. Même si tous les avocats n'ont pas la chance de céder ou transmettre leurs cabinets, ceux qui sont concernés par ces mesures seront nombreux.
Figure également dans la loi de finances 2022, la possibilité de déduire fiscalement l'amortissement comptable des fonds commerciaux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025. Cette mesure a vocation à être temporaire et s'inscrit dans le contexte de la sortie de la crise sanitaire. S'applique-t-elle au fonds libéral de l'avocat ? Nous tenterons d'apporter des éléments de réponse.
Dans la foulée de la loi de finances a été promulguée, le 14 février 2022, la loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante. La mesure phare de ce texte est le nouveau statut proposé pour les entrepreneurs individuels. L'objectif principal du texte est de simplifier les démarches en matière de protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel et d'effacer le relatif échec de l'EIRL. L'article 7 de la loi donne un an au gouvernement pour prendre les ordonnances nécessaires pour adapter ces mesures au contexte particulier des professions libérales réglementées. Nous pourrons nous interroger sur l'intérêt de ce dispositif pour les avocats alors que ceux-ci sont de plus en plus adeptes du passage en société.
Plus-values : une amélioration tangible pour les avocats
Parmi les nouvelles dispositions, c'est sans doute le relèvement des seuils de l'article 238 quindecies qui améliorera le plus le sort des avocats cédants et transmetteurs de leurs cabinets.
La loi de finances pour 20223 prévoit donc le relèvement des seuils d'exonération en matière de plus-values réalisées lors d'une cession d'entreprise ou d'une branche complète d'activité. Le seuil pour bénéficier d'une exonération totale qui était de 300 000 € passe à 500 000 € et le seuil pour bénéficier d'une exonération partielle passe de 500 000 € à 1 000 000 €. L'exonération porte à la fois sur l'impôt (12,8 %) mais aussi des prélèvements sociaux (17,2 %).
Un regard sur l'étude Interfimo4 (même si la dernière en date remonte à 2017) permet de confirmer l'impact qu'aura le relèvement de ce seuil pour les cabinets d'avocats. En effet, les statistiques Interfimo portent sur les 100 dernières opérations financées par cet établissement. Si nous partons du principe que cet échantillon a une valeur représentative et que les cédants réunissent les conditions requises pour l'application de l'article 238 quindecies, nous observons que 71 % des opérations financées seraient concernées par l'exonération totale et que 40 % de ces opérations auraient bénéficié du relèvement de l'exonération totale de 300 000 € à 500 000 €. Ce constat repose sur le chiffre d'affaires des cabinets cédés et sur le fait que la moyenne des valeurs de cession se situe entre 50 et 60 % du chiffre d'affaires annuel.
À la différence de professions dont les fonds commerciaux ou libéraux se cèdent pour des valeurs plus basses ou, a contrario, beaucoup plus élevées, la composition du tissu économique des cabinets d'avocats donne une très grande pertinence à la réforme de l'article 238, quindecies.
Concernant les dispositifs des articles 151, septies, A, du CGI et de l'article 150‑0, D, ter, du CGI, nous constaterons sans doute également des conséquences positives pour les avocats. Il ne s'agit pas ici de relèvement de seuils mais d'un élargissement de la « fenêtre de tir » pour bénéficier de ces dispositions. Celle-ci passe de vingt-quatre à trente-six mois entre la date de cession et la date à laquelle le cédant fait valoir ses droits à la retraite. Comme indiqué ci-dessus, cette fenêtre fonctionne avant et après la date à laquelle le cédant fait valoir ses droits à la retraite.
Ainsi, le délai pour bénéficier de l'exonération d'impôts sur les plus-values en cas de cession d'entreprise ou de parts d'une société non soumise à l'impôt sur les sociétés ayant pour objet l'exercice d'une activité professionnelle (CGI, art. 151, septies, A) est porté à trois ans à condition que les droits à la retraite aient été acquis entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 20215.
Enfin, pour les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, l'abattement forfaitaire de 500.000 euros pour les dirigeants partant à la retraite (CGI, art. 150-0, D, ter), initialement applicable jusqu'au 31 décembre 2022 est prolongé jusqu'au 31 décembre 2024. Le délai est donc porté à trois ans si le cédant fait valoir ses droits à la retraite entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021.
Si le passage de vingt-quatre à trente-six mois s'avérera particulièrement utile pour les avocats, c'est parce que les cessions et transmissions entre avocats sont des opérations délicates qui échouent souvent pour des raisons plus humaines que juridiques ou strictement financières. En effet, le moment du départ à la retraite du cédant ne coïncide pas nécessairement avec le calendrier du ou des cessionnaires potentiels. La transmission du cabinet à un ou des successeurs « en interne » est une opération qui aura d'autant plus de chances de réussir si elle a été correctement anticipée et préparée. Ces douze mois supplémentaires n'apporteront aucune garantie de bon déroulement mais donneront un peu plus de temps aux parties. Il vaut mieux réussir une transmission dans de mauvaises conditions fiscales que ne pas transmettre. Gageons que ces trente-six mois permettront davantage de transmissions dans de bonnes conditions.
Le nouveau statut d'entrepreneur individuel : une protection incomplète
Le nouvel article L. 526-22 du code de commerce établit un nouveau statut d'entrepreneur individuel. Ce nouveau statut vise à remplacer le régime actuel de l'EIRL et offre une protection de plein droit du patrimoine personnel de l'avocat. L'insaisissabilité de la résidence principale est étendue à l'ensemble des biens personnels de l'avocat pour les créanciers professionnels6 sans qu'aucune démarche ni déclaration ne soit nécessaire de la part de l'avocat.
La mention des cotisations sociales comme dette professionnelle7 limite les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales au seul patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel8. Cette mesure paraît, à première lecture, être une avancée et un avantage majeur sur le passage en société où l'avocat associé demeure personnellement débiteur des cotisations sociales pour lesquelles on peut venir le rechercher sur son patrimoine personnel.
Toutefois, une analyse plus précise des textes nous apprend que les organismes sociaux et fiscaux pourront toujours rechercher l'avocat entrepreneur individuel sur leur patrimoine personnel s'il est démontré9 :
- que l'avocat a rendu impossible le recouvrement de ces dettes par manœuvres frauduleuses ; ou,
- que l'avocat a commis une inobservation grave et répétée des obligations fiscales, du recouvrement de ses cotisations sociales et les majorations et pénalités afférentes.
Les mesures applicables dans le cadre de l'EIRL prévoyaient la nécessité d'un constat préalable par le juge d'une manœuvre frauduleuse ou de l'inobservation grave et répétée. Cette condition est supprimée et il ne sera désormais plus possible que de contester a posteriori devant le juge.
Le texte prévoit également que le patrimoine personnel de l'avocat entrepreneur individuel pourra être recherché pour :
- le recouvrement de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l'activité professionnelle10 ;
- les contributions sociales sur les revenus d'activité et de remplacement (CSG, CRDS)11.
De plus, la vigilance sera de mise si des dettes professionnelles subsistent au moment de la cessation d'activité puisque les deux patrimoines de l'entrepreneur individuel seront alors réunis12.
Nous devons en conclure que la dissociation de plein droit du patrimoine professionnel et personnel qui pouvait s'annoncer prometteuse pour les avocats n'est pas si évidente et la protection est largement vidée de sa substance par les nombreuses exceptions mentionnées précédemment.
L'option pour l'assimilation à une EURL et l'option à l'IS de l'avocat individuel : une mesure à contre-courant
Il est désormais possible pour un avocat d'opter pour l'assimilation à une EURL et bénéficier de l'impôt sur les sociétés. Cette première option est irrévocable alors que l'option pour l'IS pourra être révoquée dans les cinq ans suivant l'option. En cas de révocation de l'option pour l'IS, l'avocat sera assimilé à une EURL à l'IR. L'option pour l'assimilation à une EURL entraîne les conséquences d'une cessation d'activité, c'est-à-dire l'imposition immédiate à l'impôt sur le revenu des bénéfices et plus-values de l'exercice en sursis d'imposition ainsi que des créances émises et non encore recouvrées. À raison de l'option pour l'IS, l'avocat devra tenir une comptabilité d'engagement et sa rémunération sera une charge déductible selon le régime du gérant majoritaire (CGI, art. 62). Des cotisations sociales sur dividendes au-delà du versement de 10 % du montant du bénéfice net imposable sont applicables. Cette mesure entrera en vigueur à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la date de publication de la loi, le 15 février 2022, soit à compter du 15 mai 2022.
Ces nouvelles possibilités ouvertes par la loi, présentent-elles un intérêt par rapport au passage en société, choix que font déjà de très nombreux avocats en exercice individuel ? Non seulement ne semble-t-il pas y avoir d'avantage tangible, mais nous pouvons nous interroger sur les conséquences fiscales applicables lorsqu'un avocat ayant opté pour l'assimilation à l'EURL et pour l'IS souhaiterait constituer une société pour s'associer avec d'autres personnes. Espérons que ce changement n'engendrera aucune conséquence fiscale.
L'assimilation à l'EURL engendre les mêmes complexités administratives que le passage en société sans en procurer tous les avantages que sont notamment l'existence de droits sociaux, la possibilité de valoriser ou encore le recours à tous les outils du droit des sociétés. Plus généralement, ce statut peut sembler à contre-courant des évolutions récentes et en particulier de la loi Macron, dont les objectifs sont de générer des synergies, rapprocher les professionnels libéraux ou encore donner accès aux avocats aux sociétés de droit commun pour faciliter leur activité. Le passage en société de capitaux, même individuelle, semble un meilleur choix pour favoriser le développement de nos activités, leur adaptation aux évolutions sociétales et économiques et faciliter la transmission à nos associés de demain.
L'amortissement du fonds commercial : une aubaine inattendue
Pour favoriser la transmission d'entreprise en période de crise sanitaire, le législateur a donné la possibilité aux petites entreprises13 soumises à l'IS ou suivant le régime réel des bénéfices industriels et commerciaux de pratiquer des amortissements déductibles fiscalement sur les fonds commerciaux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 202514.
L'article 23 de la loi de finances vise uniquement les fonds commerciaux. Doit-on ainsi en déduire que les professionnels libéraux sont exclus du dispositif ? Des amendements ont été déposés pour que les fonds libéraux puissent également être éligibles à l'abattement, ce qui serait cohérent avec la doctrine fiscale. Ces amendements n'ont pas encore été adoptés mais il semblerait que le gouvernement souhaite éviter qu'il soit consacré un traitement inéquitable entre commerçants et libéraux. L'heure est à l'optimisme sur ce point. Si la disposition est étendue aux fonds libéraux, l'économie d'impôts sera significative et pourrait inciter de nombreux libéraux à passer en société tout en cédant leur fonds à leur nouvelle structure.
L'éventuel coût fiscal du passage en société, et notamment celui résultant de l'imposition des créances non recouvrées, serait limité par l'économie d'impôt sur les sociétés dont bénéficierait l'avocat qui vendrait son fonds libéral à la structure qu'il constitue ou à la structure déjà existante qu'il rejoint.
À titre d'exemple, une structure d'avocats qui acquiert un fonds libéral pour 100 000 € et l'amortit sur dix ans15 pourra déduire de son résultat imposable, sur les bases d'un amortissement linéaire, 10 000 € par an pendant dix ans.
Cette mesure est incontestablement un encouragement à la restructuration de l'activité individuelle et aussi un encouragement aux rapprochements. Deux tendances essentielles pour le développement de la profession d'avocat.
Notes
1. Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les efforts du gouvernement en faveur des entreprises de proximité dans le contexte de la crise sanitaire, à Paris le 16 septembre 2021.
2. L. n° 2022-172 du 14 févr. 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.
3. L. n° 2021-1900 du 30 déc. 2021 de finances pour 2022, art. 19, I.
4. Prix de cession des 100 dernières transactions de cabinets d'avocats étudiées par Interfimo. Édition d'octobre 2017 disponible sur www.interfimo.fr.
5. Idem.
6. L. n° 2022-172, art. 1er.
7. L. n° 2022-172, art. 5.
8. C. com., art. L. 526-22, al. 5 nouv.
9. C. com., art. L. 526-24, al. 1 nouv.
10. Livre des procédures fiscales, III, art. L. 273, B.
11. CSS, art. L. 133-4-7, al. 2.
12. CSS, art. L. 526-22, al. 8 nouv.
13. Les petites entreprises sont celles ne dépassant pas deux des trois seuils suivants : chiffre d'affaires inférieur ou égal à 12 millions d'euros, total bilan inférieur ou égal à 6 millions d'euros et nombre moyen de salariés qui ne dépasse pas 50.
14. L. n° 2021-1900, art. 23.
15. Amortissement comptable pratiqué sur une période de dix ans. Ces amortissements seront désormais déductibles fiscalement.
Par Dominic Jensen, Laura Mancini et Maxime Warneys
L. n° 2021-1900 du 30 déc. 2021 de finances pour 2022, JO 31 déc. ; L. n° 2022-172 du 14 févr. 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, JO 15 févr.
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