Précision sur le taux d'intérêt légal applicable au recouvrement du prix d'une cession de parts sociales
Dans un arrêt du 9 mars 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient apporter un éclairage utile à la notion de « besoins professionnels » citée à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier pour la détermination du taux d'intérêt légal.

L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 mars 2022 s'intéresse à une question délicate, celle du taux d'intérêt légal et du créancier agissant ou non pour des besoins professionnels au sens de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. On sait que le texte distingue en pareille situation pour déterminer ce taux, d'où l'importance de pouvoir qualifier rapidement si le créancier agit ou non pour des besoins professionnels. Or l'article est muet sur la méthodologie à employer, si bien que toute décision venant apporter quelques éclairages est la bienvenue. L'arrêt du 9 mars 2022 permet d'étudier une situation fréquente où le créancier agit dans le cadre d'une cession de parts dans le capital d'une société commerciale dont il était le gérant.
Les faits permettent de comprendre le contexte de la décision commentée. Une cour d'appel condamne une société à payer à une personne physique une somme de 438 156,62 € au titre d'une cession de parts avec intérêt au taux légal. La décision acquiert l'autorité de la chose jugée. Par acte du 17 juillet 2018, l'héritière de la personne physique créancière de ladite somme délivre un commandement de payer valant saisie-vente à la société débitrice pour une somme accompagnée d'intérêts de retard calculés suivant le taux d'intérêt légal applicable lorsque le créancier est une personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels au sens de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. Le juge de l'exécution décide, en première instance, d'appliquer le taux d'intérêt des professionnels. La personne physique créancière ayant fait délivrer le commandement de payer interjette donc appel. La cour d'appel de Saint-Denis-de-La Réunion infirme le jugement entrepris et décide d'appliquer le taux d'intérêt des particuliers à une telle situation, si bien que la société débitrice se pourvoit en cassation. Elle argue qu'en pareil cas, c'est nécessairement le taux applicable aux professionnels qui doit prévaloir au sens de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. La question posée pouvait donc être résumée en quelques mots : quel régime de taux d'intérêt légal faut-il appliquer au créancier personne physique qui poursuit le recouvrement du paiement du prix de cession des parts lui appartenant dans le capital d'une société commerciale ? La question se discute eu égard à la difficulté d'interprétation de l'article L. 313-2, le texte étant, comme nous l'avons dit, assez peu loquace sur la méthode de qualification des « besoins professionnels ».
Le pourvoi est rejeté en ces termes : « n'agit pas pour des besoins professionnels, au sens de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier, le créancier personne physique qui poursuit le recouvrement d'une créance qui n'est pas née dans l'exercice de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et ne se trouve pas en rapport direct avec cette activité. Tel est le cas du créancier personne physique qui, ayant cédé des parts lui appartenant dans le capital d'une société commerciale dont il est le gérant, agit en paiement du prix de cession ». La solution permet de mieux délimiter le jeu de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier tout en réalisant un utile rapprochement de la notion de professionnel entre les contentieux de droit des contrats d'affaires et de droit de la consommation.
Du rapprochement des qualifications entre les matières
Tout l'enjeu de l'argumentation du demandeur au pourvoi reposait sur la qualification de l'action en paiement consécutive à la cession de parts qui devait, selon lui, être nécessairement née dans l'exercice de l'activité commerciale du créancier. Le Code monétaire et financier ne donne aucune définition précise des « besoins professionnels » dans le cadre de l'article L. 313-2 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014. Comment faut-il alors l'interpréter ? Plusieurs modèles sont possibles, au premier rang desquels figure évidemment l'article liminaire du code de la consommation, qui vient préciser la définition du professionnel dans cette matière. La rédaction de la réponse donnée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 9 mars 2022 (§ 3) fait immédiatement songer à l'article liminaire du code de la consommation dont on sait que le contenu a été grandement étendu ces derniers mois (v. ord. n° 2021-1247, 29 sept. 2021, relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, comm. C. Hélaine ; ord. n° 2021-1734, 22 déc. 2021, JO 23 déc., Dalloz actualité, 10 janv. 2022, comm. C. Hélaine). En tout état de cause, quand l'article L. 313-2 du code monétaire et financier ne précise pas la méthodologie à employer pour qualifier les « besoins professionnels », la référence à la formulation du code de la consommation peut s'imposer en tout état de cause puisqu'elle dispose d'un rayonnement important.
Même si l'on sait que les réponses ministérielles sont dépourvues de toute puissance normative, il faut noter que la question a été explicitement posée au ministre de l'Économie de l'époque au moment de la modification de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier en 2015 (v. la question posée ici). La réponse avait été la suivante : « la notion de personne physique agissant pour des besoins professionnels à laquelle fait référence l'article L. 313-2 du code monétaire et financier doit s'interpréter à la lumière de la définition du professionnel figurant à l'article liminaire du code de la consommation, à savoir “toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel” » (nous soulignons).
La solution donnée par la Cour de cassation est donc en parfaite adéquation avec cette réponse. Mais, à dire vrai, on aurait peu compris le recours à une autre méthodologie de qualification si bien qu'il faut accueillir la décision avec bienveillance en ce qu'elle rapproche les contentieux et permet aux justiciables l'utilisation et la compréhension de définitions communes. Un tel rapprochement reste très utile pour la pratique qui n'a pas à jongler entre différentes définitions. Il n'est pas rare, en effet, de croiser dans des contentieux différents des qualifications diversifiées invitant à des réponses distinctes selon les branches du droit concernées. Ici, ce rapprochement doit donc emporter une pleine adhésion.
Il suffisait alors désormais d'appliquer le critère au cas d'une cession de parts sociales.
Une interprétation raisonnée du taux d'intérêt dédié aux particuliers
Pour décider que le créancier agissant en paiement du prix d'une cession de parts pouvait utiliser le taux d'intérêt légal dédié aux particuliers et non celui des professionnels, la première chambre civile commence par rappeler le contexte, ici la cession de parts lui appartenant dans le capital d'une société commerciale dont il était le gérant. Bien évidemment, ce simple rappel suffit à comprendre le doute qui s'était distillé dans l'esprit des parties : la situation reste gouvernée par le droit commercial et la société débitrice avait donc pensé qu'il était au moins évident si ce n'est possible que le créancier ait donc agi dans des besoins professionnels. Le reste de la motivation fait l'économie du rappel de la recherche menée par la cour d'appel de Saint-Denis-de-La Réunion. S'y intéresser au stade de notre analyse nous permet d'y voir plus clair : les juges du fond avaient précisé qu'« il n'est pas démontré que cette cession soit intervenue pour des besoins professionnels de M. O…, ce dernier justifiant en outre de la perception d'une retraite à partir d'avril 2009 alors que les parts ont été cédées dans les mois qui précédaient » (nous soulignons). Cet élément factuel – la retraite du créancier avant la cession – était un point de défense particulièrement aiguisé pour écarter les « besoins professionnels » de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier et pour appliquer, par conséquent, le taux d'intérêt légal des particuliers.
Restait un problème encore délicat : que faire si la cession de part revêt un caractère commercial ? Ce critère est-il une gêne pour disqualifier les « besoins professionnels » ? La première chambre civile y répond indirectement en évoquant le « rapport direct avec cette activité ». Sur ce point, la question pourrait prêter le flanc à la critique sur la notion d'acte de commerce mais cette difficulté ne nous paraît pas déterminante puisque le texte ne parle pas de commercialité mais de simples « besoins professionnels ». La discussion se place donc sur un autre terrain.
En somme, voici une solution intéressante pour tous les praticiens du taux d'intérêt légal. Elle permet tout à la fois de rapprocher les contentieux entre les méthodes de qualification et d'appliquer le bon taux d'intérêt légal à la situation conformément à la lettre de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. La recherche des « besoins professionnels » est contrôlée avec exigence et il ne faut pas céder à la facilité par le rapprochement avec une éventuelle commercialité. Les éléments factuels permettent souvent de voir que le créancier n'a pas agi dans des besoins professionnels, si bien que c'est le taux l'intérêt légal applicable aux particuliers qui triomphera. Gare aux raccourcis, donc !
Par Cédric Hélaine
Com. 9 mars 2022, FB, n° 20-11.845
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